Décembre 2016 – L’expertise complémentaire

Saisine de la CNDP pour solliciter une contre-expertise (Octobre 2016)

Dans le cadre du débat public, nous avons sollicité en octobre 2016 la Commission Nationale du Débat Public (CNDP). Voici la lettre de saisine en date du 1er octobre 2016 :

Monsieur le Président de la Commission Nationale du Débat Public, Monsieur le Président de la Commission Particulière du Débat Public, Monsieur le Secrétaire Général de la Commission Particulière du Débat Public, Mesdames et Messieurs les membres de la CPDP et de la CNDP,

Le débat public sur le projet de 3ème ligne de métro de l’agglomération toulousaine, « Toulouse Aerospace Express », a débuté le 12 septembre et doit se poursuivre jusqu’au 17 décembre 2016. Son maître d’ouvrage est le Syndicat Mixte des Transports en Commun, Tisséo-SMTC.

Le projet vise à absorber avec un mode performant et capacitaire les 500 000 déplacements supplémentaires quotidiens estimés dans la métropole à horizon 2030. D’une longueur de 28km pour un coût de 2,2 milliards d’euros, il s’agit potentiellement d’une des plus grandes opérations d’infrastructures de transports urbains en France. Ayant fait l’objet d’un engagement au cours des dernières élections municipales, la ligne est présentée comme un catalyseur de développement économique et un levier pour l’aménagement.

Le projet a été plébiscité par la population, qui l’a accueilli très favorablement sur la base des premières orientations de tracé esquissées dès 2010. Il peut permettre de répondre aux besoins de mobilité croissants d’une aire urbaine qui accueille plusieurs dizaines de milliers d’habitants supplémentaires chaque année et qui présente un réel dynamisme. La perspective de l’arrivée de la LGV Bordeaux-Toulouse conforte une ambition légitime pour la 4ème métropole de France et ses 1,3 millions d’habitants.

Sur le papier donc, tous les éléments sont réunis pour que le projet TAE soit accepté dans son principe même. Le diagnostic initial est partagé. Nous pensons à ce sujet que les élections municipales de 2014, largement consacrées à la thématique des transports, ont en quelque sorte tranché la question en faveur d’une nouvelle ligne. Aussi, nous considérons que si le débat public peut permettre d’en rediscuter les modalités, son bien-fondé n’est pas contestable en soi.

Considérant ce diagnostic partagé avec le maître d’ouvrage, nous l’invitons à mieux intégrer nos revendications car le but recherché est lui aussi commun : réaliser une troisième ligne efficace, capacitaire, optimisée et au service du développement métropolitain de Toulouse d’aujourd’hui et de demain. Nous ne sommes pas du tout dans une posture d’opposition stérile et tenons à rappeler que la moitié de l’itinéraire ne fait pas l’objet de contestation, ni le projet en lui-même.

En revanche, en tant que citoyens concernés et non politisés, nous alertons depuis plusieurs mois, en vain, le maître d’ouvrage sur ce que nous considérons être une fausse route sur un projet aussi structurant. Inquiets de voir se profiler une concertation rabougrie, nous nous sommes donc réjouis de la tenue d’un débat public. La passation d’appels d’offre sur des études de détail autour des stations dès février 2016, plus de 2 mois avant la saisine de la CNDP par Tisséo-SMTC, laissait en effet entrevoir un manque de transparence.

Depuis le lancement du débat, votre Commission Particulière a effectué un remarquable travail qui a permis au grand public de se saisir enfin des principaux enjeux liés au projet : stratégie d’ensemble, desserte de tel ou tel quartier, interconnexions avec les autres modes, complémentarité avec le réseau tramway et ferroviaire, articulation urbanisme-transports ou encore coûts.

En l’état, nous pensons cependant que le débat sur les variantes ou fuseaux de tracés aurait dû être conduit au tout début de la procédure, dès 2014, dans le cadre de la révision du Plan de Déplacements Urbains. Dans la hiérarchie juridique de la planification des transports, c’est bien le schéma (le PDU) qui cadre les projets d’infrastructures et non pas les projets d’infrastructures qui cadrent a posteriori le schéma. Ce problème de méthode fait peser des risques contentieux au projet global. Le débat public sur TAE est donc une belle occasion pour rattraper ce faux départ et faire de la 3ème ligne un projet optimisé s’articulant au mieux avec les autres opérations et les autres modes (tram, fer, bus).

Au commencement du débat, le maître d’ouvrage Tisséo a transmis un dossier explicatif, augmenté d’un certain nombre d’annexes, qui a fait office de base de discussion tant attendue. Ce dossier se caractérise d’une part par la très faible latitude laissée aux variantes et aux options (tracé figé), et d’autre part et de façon assez paradoxale, par un approfondissement très limité (peu d’études techniques précises). Qui plus est, l’observateur  a le sentiment que c’est la recherche de financement qui oriente le tracé et non pas le tracé qui dicte la recherche de cofinanceurs. Autrement dit, les arrangements institutionnels et politiques semblent prendre le pas de façon inquiétante sur les éléments factuels d’ordre technique. Nous allons développer ce point.

Le maître d’ouvrage justifie son tracé de référence par une volonté de ne pas desservir le centre-ville pour se focaliser sur des territoires « en devenir » et de relier entre eux les pôles économiques ou supposés tels. En filigrane et comme nous l’expliquons dans notre argumentaire, deux stratégies avaient été définies par l’agence d’urbanisme dès 2014 : un tracé de métro desservant le centre et un tracé de tram-train passant par les faubourgs Nord. Afin d’éviter tout chantier en centre-ville (cf. La Dépêche du Midi du 29 août 2015 où Jean-Luc Moudenc déclarait : « je souhaite que la future ligne ne passe pas dans l’hypercentre. Un fuseau dans la partie nord me paraîtrait le plus pertinent. Je ne veux pas rouvrir de chantier en centre-ville pour la troisième ligne »), et en considérant que ce serait moins coûteux et plus rapide d’infléchir la ligne vers le Nord (insertion aérienne), l’équipe municipale a tranché en faveur du tracé de tram-train…mais en conservant la fonctionnalité métro automatique.

Le projet qui est aujourd’hui présenté au débat public par le maître d’ouvrage souffre de cette incohérence manifeste. Loin de ce qui avait été exposé aux électeurs en 2014, l’itinéraire de référence fait fi de la réalité du Toulouse d’aujourd’hui (réseau de bus, lignes les plus fréquentées, densité, pôles générateurs etc.) et se cantonne à parier sur le développement massif de quartiers qui aujourd’hui sont déjà desservis par le métro (ligne B), malgré leur très faible densité. Tisséo-SMTC semble outrepasser son rôle d’autorité organisatrice des transports en se muant en un Aménageur qu’elle n’est pas. Avec plus de 25 Zones d’Aménagement Concerté (ZAC) déjà en cours à Toulouse (et loin d’être achevées), les projets urbains ne manquent pas. Il est déraisonnable d’aller y greffer, hors de toute planification de long-terme (SCoT), des projections de mutation liées au métro qui relèvent plus de la gageure que du bilan prospectif étayé.

C’est d’autant plus déroutant que bon nombre de quartiers denses ou de pôles générateurs ne sont toujours pas desservis par des modes lourds. La ligne TAE proposée par le maître d’ouvrage s’apparente ainsi à une ligne de rocade.

Il a fallu plus d’un siècle pour que l’Île-de-France se dote d’une ligne circulaire (ligne 15 du Grand Paris Express), n’est-il pas présomptueux de penser que Toulouse le pourrait en 20 ans, et ce avant même d’avoir épuisé le potentiel inexploité de ses radiales prolongeables en périphérie ?

Dès lors, considérant ces éléments de contexte, nous sollicitons officiellement la CNDP pour qu’elle désigne un ou plusieurs experts indépendants afin d’auditer le travail du maître d’ouvrage sur des points précis :

Données sources, calage du modèle SGGD et études de trafic

Tisséo et l’AUAT pilotent un modèle d’estimation de trafic, le SGGD (Système Global de Gestion des Déplacements). Ce modèle, qui a fourni ces 10 dernières années des résultats de trafic surévalués (ligne T1-T2) ou sous-évalués (métro) de +/- 100%, est calé en interne. Les appels d’offre de Tisséo sur les études préalables de la 3ème ligne de métro mentionnent clairement (cf. art. 6.2.9 du CCTP études préalables TAE de février 2016 publié par Tisséo-SMAT) que toutes les études socio-économiques et de trafic seront réalisées en interne Tisséo-AUAT à partir de ce modèle. Les résultats seront alors transmis aux bureaux d’études qui fonderont leurs études dessus.

Compte-tenu de leur caractère décisif (donnée de base qui éclaire les arbitrages à faire notamment sur les variantes de tracé), nous demandons :

  • Que les études de trafic et socio-économiques soient réalisées en externe (lancement d’un appel d’offre) hors Tisséo-AUAT-SMAT pour éviter tout biais d’appréciation et toute pression, le SMTC étant un organe largement politisé dont le cap varie du tout au tout à chaque transition municipale (cf. révisions du PDU) ;
  • Qu’un comité de pilotage socio-économique soit créé et se réunisse tout au long des études jusqu’à l’éventuelle déclaration d’utilité publique, associant le maître d’ouvrage, l’AUAT, la SMAT, les bureaux d’études mandatés, des économistes extérieurs à Toulouse et des experts indépendants (nous suggérons le Commissariat Général à l’Investissement, le Laboratoire d’Économie des Transports de Lyon, ou encore l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne) ;
  • Qu’avant la fin du débat public, la CNDP sollicite des experts (CGI, LET, EPFL etc.) pour auditer les premières études du SMTC, de la SMAT et de l’AUAT sur le trafic attendu, sur les données-sources (hypothèses retenues, projections démographiques, fréquentation potentielle des variantes, reports de trafic, parts modales, nouveaux usagers captés sur l’automobile, trafic induit) et sur le calage du modèle SGGD.

Analyse multicritères de toutes les variantes de tracé / stations

Le dossier du maître d’ouvrage analyse très sommairement quelques variantes sur des secteurs précis (faubourgs Nord par exemple), sans expliciter -chiffres à l’appui- pourquoi il n’a pas étudié d’autres options, pourtant plus évidentes (passage par l’axe Jeanne-d ’Arc – Amidonniers – Ponts Jumeaux par exemple). Les annexes fournies par Tisséo-SMTC ne permettent pas non plus de comprendre rationnellement et objectivement cet arbitrage. De même, les éléments transmis par Tisséo tendent à montrer que certaines hypothèses de tracé ont été volontairement affaiblies (emplacement de stations aléatoires et peu optimisés) ; que certaines options ont été artificiellement étudiées pour donner l’illusion d’un choix, car délibérément plus faibles que la variante souhaitée ; et enfin que tous les éléments d’arbitrage n’ont pas été clairement exposés. Ainsi, nous demandons :

  • Que la CNDP sollicite un bureau d’études et/ou des experts indépendants pour comparer notre proposition (et les autres issues du débat) à celle du maître d’ouvrage en termes de potentiel urbain (mutations, marché immobilier) ; de trafic en 2024 et à plus long-terme ; et in fine en termes socio-économiques (bilans socio-économiques différentiels par grandes options : Nord, centre Amidonniers, Malepère ou Labège, connexion tramway à Jean Maga ou à Purpan, desserte de Colomiers etc.) ;
  • Que le maître d’ouvrage étudie notre tracé et fournisse des chiffres argumentant sa position en faveur de l’évitement du centre ; et que ces chiffres puissent être contre-expertisés sous l’égide de la CNDP (pour rappel, notre proposition s’appuie elle sur un bilan socio-économique exploratoire réalisé en 2014, ce que n’a pas fait le maître d’ouvrage malgré ses moyens logistiques) ;
  • Que le maître d’ouvrage, conformément à la réglementation relative aux grands projets d’infrastructures de transports, réalise ou fasse réaliser une analyse multicritères chiffrée de toutes les options et variantes de tracés (y compris les variantes issues du débat public), et pas uniquement celles qui sont susceptibles de correspondre à ses attentes ou d’appuyer ses propres arbitrages ;
  • Que ladite analyse multicritères du maître d’ouvrage soit publiée avant la fin du débat public, puis débattue et commentée par les experts indépendants mandatés par la CNDP ;
  • Que la CNDP demande au maître d’ouvrage de publier ses données d’entrée (démographie, trafic sur le réseau existant, hypothèses etc.). À ce titre, nous pouvons proposer au maître d’ouvrage un espace de stockage de 3To.

Une telle prise en considération de nos demandes permettrait, à notre sens, de crédibiliser la méthode de management de projet du maître d’ouvrage, d’assurer que toutes les options ont bien été prises en compte et étudiées, et in fine, que l’itinéraire de référence et l’implantation des stations soient objectivement argumentés à l’aune de toute une batterie de critères techniques dénués d’autres considérations externes.

Le projet de Tisséo-SMTC n’en sortira que renforcé et optimisé. Sa réalisation en sera facilitée car moins sujette à des recours ultérieurs de toutes sortes.

Tout à fait conscients de la portée de notre demande -qui néanmoins répond aussi à l’ampleur du projet-, nous vous exprimons d’avance toute notre reconnaissance dans la suite favorable que vous voudrez bien y donner.

Nous restons à votre entière disposition pour toute précision ou pour répondre aux interrogations éventuelles du maître d’ouvrage.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de la CPDP et de la CNDP, l’expression de notre très haute considération.

 Le collectif citoyen pour une 3ème ligne métro-politaine et optimisée

Les suites données à notre saisine

La CNDP a partiellement accepté notre demande fin octobre 2016.

Dans sa séance du 26 octobre 2016, la CNDP a en effet décidé de réaliser une étude complémentaire ne portant que « sur les caractéristiques du modèle de trafic utilisé, les hypothèses retenues pour générer ces données de trafic, et sur la sensibilité des trafics à une variation de ces hypothèses ». Cette expertise complémentaire, a été effectuée par un groupe d’experts nommés par la CNDP, sans que nous n’ayons un droit de regard. A aucun moment, nous n’avons été consultés.

Jean Frebault : Ingénieur général honoraire, ancien directeur de l’aménagement et de l’urbanisme au ministère de l’Équipement et ancien président de la section Urbanisme Aménagement au conseil général des PC. Ancien directeur de l’Agence d’Urbanisme de Toulouse (AUAT).

Marc Perez : Directeur du département Études générales Transport Technologie Consult Karlsruhe (TTK)

Matthieu de Lapparent : Docteur en économie des transports, enseignant chercheur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Clément Morin: Ingénieur transport, chargé de la modélisation à la direction régionale de l’Équipement et de l’aménagement d’Ile de France (DRIEA).

La Commission particulière du débat public (CPDP) et Marc Perez ont présenté à Toulouse les résultats de cette expertise le 5 décembre 2016. Le document complet est disponible ici.

Extrait expertise complémentaire décembre 2016
Un extrait de la contre-expertise « indépendante » que nous avions initialement sollicitée. Le ton dithyrambique sur le travail du maître d’ouvrage jette le trouble sur le réel approfondissement d’une mission qui aurait dû mener à questionner des décisions peu cohérentes. Cet extrait montre s’il en est, que les experts mobilisés se sont contentés d’analyses au mieux théoriques, au pire superficielles et hors sujet comme ci-contre .

Ce travail in abstracto n’a pas répondu à nos attentes d’expertise. Le travail mené, sur seulement deux jours en tête en tête avec le seul maître d’ouvrage (Tisséo-AUAT-SMAT), sans confrontation d’idées et avec une méthodologie propice aux connivences, n’a pas permis de jeter les bases d’un arbitrage intelligible pour tous entre des options contrastées étudiées en profondeur (cf. communiqué du collectif). Nous continuons donc notre mobilisation.