Ci-après, nos remarques sur la forme et la méthode d’élaboration du projet de troisième ligne de métro porté par Tisséo-SMTC telles que versées au débat public par notre collectif, entre septembre et décembre 2016.
Sur la forme, des décisions qui préemptent les conclusions du débat public
L’article L-300-2 du code de l’urbanisme impose que tout programme d’aménagement d’envergure fasse l’objet d’une concertation tout au long du cycle de vie du projet, de sa conception à sa mise en œuvre. Le projet de troisième ligne de métro de Toulouse n’échappe pas à ce cadre, tout comme la révision du Plan de Déplacement Urbain (PDU) initiée dès 2014 (« projet Mobilités »).
Or, dans les faits et compte-tenu du calendrier à tenir pour une mise en service en 2024, Tisséo-SMTC a opté pour une révision du PDU concomitante à la procédure de conception de la nouvelle ligne de métro. Le « projet Mobilités 2025-2030 » a donc été lancé pour légitimer à la hâte au plan juridique « Toulouse Aerospace Express », alors que l’esprit de la démarche aurait voulu au contraire que la stratégie précise soit définie et validée avant le projet de troisième ligne. Autrement dit, le PDU qui est le document qui décrit une stratégie et des leviers d’actions opérationnels, est actuellement révisé a posteriori des choix stratégiques. C’est ce que Jean-Marc Offner qualifie de « PDU d’instrumentation ».
Dans la hiérarchie juridique de la planification des transports, c’est bien le schéma (le PDU) qui cadre les projets d’infrastructures et non pas les projets d’infrastructures qui cadrent le schéma. En toute logique, le PDU aurait dû discuter puis définir un fuseau de ligne de métro, pour permettre ensuite de lancer le projet.
Certes, une concertation publique a été organisée pour la révision du PDU fin 2015. Mais celle-ci n’était pas claire dans ses motifs pour le grand public, de sorte qu’il ne fut que peu question de la troisième ligne de métro. Le jour même de la délibération de Tisséo-SMTC sur la fin de cette concertation préalable, à savoir le 18 décembre 2015, Jean-Luc Moudenc présentait à la presse un tracé précis de la nouvelle ligne, station par station. Aucun élément de discussion de fuseau n’a ainsi été concerté, de sorte que la concertation publique de fin 2015 n’a finalement été qu’une formalité administrative.
Nous pensons qu’il y a eu là, de la part du maître d’ouvrage, une confusion entre communication et concertation. Le fait politique a pris le dessus sur le projet d’agglomération. Tisséo-SMTC a simplement communiqué de façon institutionnelle, sans donner au public tous les éléments de compréhension nécessaires. Les fascicules diffusés par Tisséo incluaient à ce titre un grand nombre d’infographies de portée très générale sur le potentiel de desserte des bassins industriels et économiques, mais sans aucune justification précise des potentiels de voyageurs à chaque station, ou a minima, une indication des équipements desservis ou une liste des projets à court et moyen-terme autour de ces stations privilégiées.
Dès lors, on peut s’interroger sur la validité des « invariants » de la future ligne, arbitrairement imposés sans discussion préalable.

C’est d’autant plus étonnant que le tracé proposé fin 2015 s’avère complètement différent de celui qui avait été soumis au vote des toulousains à l’occasion des municipales de 2014. Le choix des faubourgs Nord (La Vache, Fondeyre) a ainsi sonné comme une surprise pour beaucoup d’observateurs et d’électeurs. Choix qui avant le débat public n’a pas été contesté ouvertement, car non discuté.

Le bât blesse plus sérieusement si l’on considère les marchés publics relatifs au projet, publiés en début d’année 2016. Tisséo-SMTC et la SMAT ont en effet lancé une consultation en février 2016 sur les « études techniques préliminaires de Toulouse Aerospace Express ». Le cahier des charges stipule que le prestataire devra « approfondir les études menées en 2015 sur les différents itinéraires et options identifiés pour cette nouvelle ligne en termes d’insertion, d’exploitation, de performance et de coût ». Les missions sont particulièrement précises et détaillées : études des pôles d’échanges, plans au 1/2500ème, études d’aménagement urbain autour des stations, études de carrefours, coûts d’exploitation etc.
Il y a confusion entre vitesse et précipitation. Jean-Michel Lattes, président de Tisséo-SMTC, n’a en effet saisi la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) que fin avril 2016. La CNDP a confirmé la tenue du débat public début mai. La loi du 2 février 1995 qui a créé la CNDP précise que le débat public « a pour objet la participation du public à l’élaboration des projets d’aménagement ou d’équipement ayant une incidence importante sur l’environnement ou sur l’aménagement du territoire ». Dans le cas de TAE, on peut donc s’interroger sur le fait que le maître d’ouvrage lance des études précises pour plus de 2M€ en janvier, alors que le projet doit être débattu plus de 6 mois plus tard. Le débat est-il appréhendé comme une simple formalité administrative ?
Cette précipitation ne masque t’elle pas une volonté d’orchestrer une concertation qui n’est que cosmétique et qui n’a de toute façon aucun impact sur des décisions prises arbitrairement sur des considérations obscures ? Ce manque de transparence a pesé d’emblée sur toute la démarche du projet. Missionner des bureaux d’études pour définir des aménagements précis aux abords de stations dont l’emplacement et la fonctionnalité n’a été ni étudiée ni concertée est une première en France depuis de nombreuses années pour un projet de 2 milliards d’euros. Si le programme présenté avait été strictement identique à celui proposé aux municipales (distribution de tracts autour de l’université annonçant une desserte métro Arsenal-Manufacture des Tabacs en décembre 2013), on aurait toujours pu considérer que la démocratie représentative aurait prévalu sur la démocratie participative. Mais ici, aucune des deux n’a été véritablement respectée.
Enfin, page 39 du cahier des clauses techniques particulières du dossier de consultation de ce marché, la SMAT précise que Tisséo-SMTC réalisera en interne toutes les études socio-économiques et de trafic. Le marché rajoute qu’« elles serviront à alimenter les études préliminaires, à éclairer les choix et à préparer le dossier d’enquête publique ». Nous estimons qu’au vu du manque de transparence qui a caractérisé la première phase du projet, que cette internalisation d’une mission capitale qui structurera les arbitrages et légitimera les options prises, laisse planer de très sérieux doutes sur la sincérité des évaluations de trafic. Ces évaluations, basées sur un modèle partenarial Tisséo-AUAT, ont par ailleurs souffert ces dix dernières années de surévaluations ou sous-évaluations de plus de 100% par rapport aux valeurs de fréquentation effectivement mesurées sur le terrain, et ce sur la quasi-totalité des TCSP lourds lancés après 2005 (ligne T1 notamment).
L’internalisation des études de trafic : une crainte sur l’objectivité des arbitrages
Enfin, page 39 du cahier des clauses techniques particulières du dossier de consultation de ce marché, la SMAT précise que Tisséo-SMTC réalisera en interne toutes les études socio-économiques et de trafic. Le marché rajoute qu’« elles serviront à alimenter les études préliminaires, à éclairer les choix et à préparer le dossier d’enquête publique ». Nous estimons qu’au vu du manque de transparence qui a caractérisé la première phase du projet, que cette internalisation d’une mission capitale qui structurera les arbitrages et légitimera les options prises, laisse planer de très sérieux doutes sur la sincérité des évaluations de trafic. Ces évaluations, basées sur un modèle partenarial Tisséo-AUAT, ont par ailleurs souffert ces dix dernières années de surévaluations ou sous-évaluations de plus de 100% par rapport aux valeurs de fréquentation effectivement mesurées sur le terrain, et ce sur la quasi-totalité des TCSP lourds lancés après 2005 (ligne T1 notamment).
De plus, le cahier des charges de cette consultation ne demande pas la réalisation de bilans socio-économiques différentiels pour chaque variante, bilans qui permettraient de comparer sérieusement les différentes options sur la base d’éléments chiffrés.
Considérant ces observations, et pour palier ces lourdes erreurs de méthode à même d’entacher la régularité de la procédure, nous avons demandé :
– D’une part qu’il y ait un engagement ferme du maître d’ouvrage pour que les conclusions du débat public soient prises en compte, notamment sur les fonctionnalités du projet et les hypothèses de tracé. Nous préconisons que cet engagement soit pris avant la publication du rapport final de la CNDP, pour éviter tout biais (ce que nous n’avons pas obtenu) ;

– D’autre part et à défaut d’externalisation, que Tisséo-SMTC procède à une contre-expertise indépendante de ses évaluations socio-économiques et de trafic avant l’enquête publique. Cette contre-expertise pourrait être menée pour les données de trafic par des experts reconnus du Laboratoire d’Économie des Transports de Lyon ou encore de l’Université Polytechnique Fédérale de Lausanne, référence en Europe. Pour les évaluations socio-économiques, une saisine anticipée et volontaire du Commissariat Général à l’Investissement est à envisager (ce que nous avons obtenu très partiellement).
